Une autre réalité


Quoi de plus normal quand on vit à des milliers de kilomètres de tout repère que de chercher des « gens qui nous ressemblent » à qui se raccrocher. Parfois, à Lisbonne, je suis surprise de devoir parler en portugais tant les personnes que je côtois sont francophones. En tant qu’ expats, nous avons notre bonne conscience pour nous. Nous sommes des immigrés VIP ! Et pourtant, nous vivons une expérience qui, immanquablement, nous lie à tous les « déplacés » de la Terre.

Mon Chéri me reproche parfois mon trop plein d’empathie. Quand elle me motive à lui préparer ses tartines le matin, cet hyper-empathie ne le dérange pas mais quand elle me rapproche un peu trop de ma femme de ménage, ça l’agace.

C’est vrai, j’ai une affection particulière pour Augusta. Depuis deux ans, elle est présente chaque vendredi à 10h. Quatre heures durant, elle efface les traces d’une semaine de vie de famille. D’origine Cap Verdienne, elle ne parle pas français. J’aurais pu ne jamais m’intéresser à elle, la voir comme un « robot ménager » qu’on paye à la fin du mois. Mais, petit à petit, mes cours de portugais avançant, j’ai commencé à lui parler.

Elle travaille tous les matins de 7h à 10h dans une clinique vétérinaire et, tous les soirs, de 17h à 20h, elle nettoie des bureaux. Entre les deux, elle fait des ménages. Elle a un fils de 14 ans resté au Cap Vert et un autre petit garçon de 5 ans qui vit avec elle. Son mari travaille pour un entrepreneur en Afrique et n’a droit qu’à un seul voyage par an pour rejoindre sa famille. Elle vit ici avec pour seule attache une nièce qui étudie à Porto.

Il y a neuf mois, son mari est revenu un week-end et, de ces retrouvailles, vient de naître une petite Josiana. Vendredi dernier, Augusta frottait toujours chez moi…

Hier, après l’école, j’ai embarqué mon fifi et ma fifille pour aller lui rendre visite à la maternité. En rentrant dans cet hôpital public, j’ai touché à une autre réalité. D’abord, interdiction de rentrer avec fifi et fifille ! Je me retrouve bredouille à l’entrée avec mon cadeau. Heureusement, la nièce d’Augusta lui rendait visite à ce moment-là et est descendue garder les enfants. Je monte le cœur battant, priant tous les saints du paradis qu’il n’arrive rien à mes petits, ni à la nièce qui allait devoir les contenir.

Il faisait bondé, une odeur âcre empestait les couloirs. Je trouve péniblement la chambre. Augusta était là, allongée, clouée au lit par la césarienne, sa petite Josiana au sein. Deux autres mamans avec leurs nouveaux nés occupaient aussi la chambre. Pas une fleur, pas une bouteille de mousseux, même pas un Faire-part ne traînait. Il n’y avait aucune trace de cadeau, même pas une peluche dans le lit de la petite Josiana. J’ai échangé quelques compliments. Puis, j’ai sorti mon appareil photos. J’ai pris quelques photos pour leur créer un album web privé. Le mari d’Augusta, perdu au fond de l’Afrique, découvrira sa fille sur l’écran d’un PC…

De retour en bas, j’ai serré très fort dans mes bras Fifi et Fifille. Non, il n’y a vraiment pas de justice dans ce monde. Pourtant, nous pouvons chaque jour contribuer modestement à le rendre plus humain.

Et vous ? Vous arrive-t-il de toucher à d’autres réalités ?

2 commentaires sur “Une autre réalité”

  1. Anonymous

    Bravo !

  2. Anonymous

    Comme tu as raison!!!