Rendre la rivière à la rivière

Allongée sur mon lit, j’ai fermé les yeux et j’ai marché.
Je suis descendue par un chemin escarpé. J’avais très peur. Je sursautais au moindre bruit : un bourdon sur une fleur, les aboiements d’un chien au loin. Dans ma tête une ritournelle s’imposait : « Que fais–tu là toute seule. C’est bien trop dangereux. Il n’y a pas de réseau pour ton portable ici et personne ne sait par où tu es partie. Si tu tombes, tu es foutue. Qui s’occupera de tes enfants? Si tu rencontres un pervers, ce n’est pas avec ton niveau en Krav Maga que tu vas le neutraliser. Allez, ne fais pas l’imbécile, remonte». Et pourtant, tout mon être me poussait à avancer, à m’éloigner de la route goudronnée et à descendre plus bas encore.
Le soleil cognait sur ma tête, j’avais soif. Je regardais de plus en plus souvent en arrière et commençais à me dire que la «petite voix» avait raison. Puis, j’entendis un léger frétillement. De l’eau coulait juste là, un peu plus bas. Guidée par le bruit, j’y suis arrivée. Le spectacle était affligeant.
Il s’agissait bien d’un ruisseau mais il était très mal en point. Trouble et crasseux, il s’écoulait difficilement. Pire encore, sur ses rives gisaient des carcasses d’animaux morts, empoisonnés. Je tournai la tête attirée par un bruit étrange. A quelques mètres de moi, une louve gémissait, à l’agonie. Elle me fixait de ses grands yeux, me suppliant de l’aider.
Moi qui habituellement ai peur de tout ce qui remue la queue, je me surpris à m’approcher, à la caresser et à doucement lui murmurer des mots apaisants.
Mis à part le ruisseau, l’endroit était merveilleux, un vrai petit coin de paradis. Les rayons du soleil jouaient avec les rochers. Un olivier étirait vers le ciel sa chevelure argentée, le vent jouait avec des petites clochettes de fleurs multicolores.
Prise de colère, je me suis agenouillée et j’ai plongé mes mains dans l’eau trouble. Elle était pleine de vase et de mousses. Des poissons morts glissaient entre mes doigts. Le ruisseau était asphyxié. Il s’écoulait trop faiblement. Il fallait que je le sauve.
J’ai plongé dedans. J’ai poussé de toutes mes forces les écorces et les rochers. Pendant plusieurs heures, je me suis dépensée sans compter pour nettoyer la rivière. Petit à petit, elle s’est libérée. Elle a craché la vase et les poissons morts, elle a toussé plusieurs fois et est enfin repartie, plus claire que jamais. L’eau a repris sa course sinueuse dans la gorge asséchée.
Epuisée, je me suis écroulée à côté de la louve. Croyez-moi ou pas, elle m’a souri et m’a léché le visage… Après quelques temps, je suis remontée. Les peurs qui me poursuivaient lors de la descente s’étaient éloignées. Elles savaient qu’elles n’arriveraient plus à couvrir le bruit de l’eau qui coulait en moi.
Au fond de nous tous coule le ruisseau de notre âme, notre eau de vie. Ne la laissons pas s’encrasser. Osons chaque jour plonger dedans pour y puiser des idées précieuses de création. Derrière un fichier Excel, une planche de dessin, un fourneau, dans un cahier de comptes ou dans un potager, sachons écouter notre ruisseau de créativité.
Et,puisqu’il parait que même les hommes ont un côté féminin, réveillons tous la «femme sauvage» qui dort en nous, en ce début de semaine, et laissons l' »homme sauvage » roupiller!










mars 23rd, 2009 - 18:34
Waouh ! Quelle image puissante !
N.
mars 24th, 2009 - 10:14
C’est un des plus beaux textes. La poésie et l’imagination permettent d’entrer dans le récit avec les deux pieds. Bravo